Avec Babx (David Babin) et Seb Martel
Nous sommes au sud des États-Unis durant la première moitié du XXe siècle, dans une zone géographique surnommée la “Black Belt” (ceinture noire) : Alabama, Mississippi, Louisiane… là où les plantations de coton furent le théâtre de l’esclavage. S’il est juridiquement aboli aux Etats Unis depuis 1865 par le 13e amendement à la Constitution, le racisme institutionnel de l’État se prolongera et se prolonge encore via la naturalisation des noirs comme criminel. Ainsi, dès le 19e, les Blacks Codes vont remplacer les Slave Codes et permettre de pénaliser les personnes noires – l’absence au travail sera par exemple qualifiée de vagabondage et passible d’une peine de prison impliquant le travail forcé. Des décennies plus tard, Michael Lamar Powell, prisonnier à Capshaw dans l’Alabama, affirmera dans une déclaration : “Je suis la main d’œuvre en prison. Je suis le nouveau travailleur américain”. C’est dans ce contexte socio-culturel et dans cette zone géopolitique que les Lomax, père et fils, ethnomusicologues, folkloriste et collecteur de musique, effectueront leur premier enregistrement ensemble – dans les pénitenciers noirs du sud des Etats-Unis. C’est le début de ces archives sonores qui seront qualifiées de Prison Songs – véritables témoins d’une tradition orale et populaire afro-américaine. On dit d’Alan Lomax, né au Texas en 1915 et décédé en 2002, qu’il fut un pionnier de l’enregistrement de terrain, accordant une voix à ceux à qui l’on en donnait pas, pressentant l’ampleur d’une culture au fondation de la musique moderne, tendant son mégaphone à Muddy Waters ou Woodie Guthrie, révélant quelques une des plus grandes voix étasuniennes, des voix noires au sein d’un pays ségrégationniste. Alan Lomax n’est plus mais quel meilleur contexte pour en parler que la nouvelle enquête musicale qui s’ouvre ce soir au Métronum, toujours à l’initiative de Seb Martel, accompagné cette fois du chanteur et musicien David Babin. J’ai le plaisir de les recevoir ensemble dans le studio ce midi, en amont de l’enquête, pour tirer les fils d’une nouvelle filiation musicale qui nous amène tout droit aux Etats Unis auprès du fameux ethnomusicologue Alan Lomax.
“Je ne crois que ce que je vois” nous dit l’adage, mais alors, quid de ce que j’entends ? Et si le monde pouvait se raconter par les sons, les rythmes, les chants, les vibrations. Si les yeux n’étaient pas la porte d’entrée principale, mais qu’à bien ouvrir ses esgourdes, on pouvait saisir la narration du monde. L’ethnomusicologie a posé sa grille de lecture culturelle et cosmogonique sur l’ouïe, invitant à comprendre ce qui se dit dans l’inflexion des voix quand elle pleure, tremble, trémule, éructe, crache, se fend ; ce qui se dit dans le tempo des percussions, dans la feuille de route invisible parce qu’oral des chants rituels, dans la forme évocatrice d’un instrument taillé dans une calebasse. Les récits se cachent partout et pour y croire, il ne faut pas seulement les voir, mais accepter de fermer les yeux – autoriser la voix et les oreilles. Peut-être comme on tente de le faire ici aussi un peu, dans le studio, à la radio. Merci Seb Martel, merci David Babin pour votre présence et on vous dit à ce soir pour l’enquête musicale au Métronum.
– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.
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