The Fader résumait assez bien la situation en 2014 : « Zuse comble l’intervalle entre le dancehall et la scène trap d’Altanta ». Originaire de Kingston (l’accent ne trompe pas), le jamaïcain vient de franchir un pallier avec une mixtape coup de poing réunissant la crème des producteurs d’ATL. Ne passez pas à côté de TrapZuse.
Et si c’était le début d’une ascension ? À Altanta, la concurrence est rude. Mais qui peut se vanter de mettre en avant une culture à part, au cœur d’une scène trap aussi foisonnante qu’homogène en termes d’esthétique musicale ? Débarqué de Jamaïque pour atterrir à Miami, Zuse se dirige logiquement du côté de la Magic City, épicentre du vivier rap depuis plus de dix ans. Mis en avant par Dj Spinz, on le découvre d’abord en 2013 sur la tape Zooly Gvng, en duo avec Mike Fresh. Un « Okay » assez peu convaincant où son identité dancehall s’impose, sans réellement se mélanger au son de la scène locale. Le pas est franchit quelques mois plus tard avec « Soprano ». Cette fois, le son est sans équivoque. Appuyé par TM88 et Southside de la 808 mafia (rien que ça), Zuse assume pleinement son statut de rappeur, mettant son accent au profit d’un flow parfaitement adapté à des beats calibrés pour sa ville d’adoption.
Autre single déterminant, le fameux « Mayday » en compagnie du phénomène Young Thug. Une évidence pour certains, la technique versatile de Thugga rappelant par endroits le phrasé typique des toasters jamaïcains. Même si la prod de Metro Boomin ne restera pas les annales, le morceau permet à Zuse d’élargir significativement son audience.
Le moment rêvé pour sortir sa toute première mixtape en mars 2014. Bullet, c’est le manifeste d’un immigré jamaïcain ayant pleinement embrassé les codes de la culture américaine. L’imagerie lui emboîte le pas. Sur « Oiler » (aux côtés de Trae Tha Truth, la grosse voix emblématique de Houston), on le découvre métamorphosé, avec un refrain légèrement autotuné et des couplets beaucoup plus classiques dans la forme.
Zuse apprend vite, mais n’a pas pour autant délaissé son style originel, comme en témoignent la majorité des autres titres de la tape, « Way it Work » et le très bon « Franck White » en tête. Il n’empêche, la présence de morceaux fly comme « Big Tymer » posent question. L’artiste sait-il seulement où il souhaite aller ? Au final, Bullet sonne comme une mixtape de transition.
En attendant, le natif de Kingston continue de battre le fer tant qu’il est chaud. Alors que Young Thug est en pleine explosion, « Treasure » tombe à pic. Le titre est produit par un grand habitué des riddim aux consonances jamaïcaines… l’inévitable Dun Deal (coutumier du fait, il réalisera plus tard le tube « Pelican Fly », véritable manifeste aux west indies). À l’arrivée, « Treasure » restera sans doute comme le titre de référence associant Young Thug et Zuse.
L’été qui suit, il récidive avec Plugged, une seconde tape rassemblant des freestyles, des remix et quelques apparitions en featuring. En l’absence de réelle nouveauté, Zuse ne fait qu’occuper le terrain pour alimenter son actualité. Après ce pastiche de sortie, plus de nouvelles pendant quasiment un an, jusqu’à ce que sorte « On God » en juillet dernier, titre dispensable en compagnie de Post Malone (le « White Iverson », hum, comment dire ?), un autre protégé de FKi. Mais vous l’aurez compris: l’actu la plus intéressante de l’année concernant Zuse (on y arrive) … c’est bien TrapZuse.
C’est un fait : TrapZuse dépasse (très) largement le niveau des sorties précédentes. Si le parti pris du mélange dancehall/trap est aussi réussi, c’est qu’il est assumé de bout en bout avec sincérité et cohérence, la constance du flow s’alliant à des productions d’une extrême qualité. Le casting parle de lui-même : Dun Deal, Metro Boomin, Sonny Digital, Nard & B… Le genre de projet qu’on télécharge les yeux fermés, avant même de l’avoir écouté.
D’emblée, « On my Nerves » donne le ton. Sombre, lourd et atmosphérique. L’intro d’un grand projet.
Pour une fusion des genres réussie, le souci d’équilibre est primordial. On le découvre vite : Zuse ne force plus le trait. Évitant habilement la caricature « du toaster qui pose sur de la trap », sa voix se fond plus naturellement dans le décor. Bien plus à l’aise au micro qu’à l’époque de « Soprano », le jamaïcain semble avoir intégré les us et coutumes de la scène d’Altanta. Le recours à la culture du reggae-dancehall n’est plus vécu comme un exotisme, mais comme une force au service des dernières innovations atlantesques. Des timbres de voix granuleux (« Percy Miller ») aux passages chantés (« Bubbly »), Zuse déploie un potentiel impressionnant. En parlant de prouesses vocales, même si on s’y attendait un peu, on ne boude pas notre plaisir : Young Thug apparait de nouveau pour un passage éclair convoquant à nouveau les talents de Dun Deal.
Mais s’il fallait résumer la force de TrapZuse en un morceau, nous citerions directement « Money Come », admirablement produit par le duo Nard & B, décidemment très en jambes en ce moment (on pense bien sûr aux tapes Trench Muzik de Spodee). La simplicité du morceau tomberait presque sous le sens. Qui a dit que trap et reggae n’étaient pas conciliables?
Paul Muselet,
chronique écrite pour et par www.qualidistrict.com. Retrouvez toutes nos chroniques ici.