Avec Clémence Labatut

Le transsibérien, ce train monstre, pas tant lui que la distance qu’il parcourt et pourtant, monstre de train comme on se le figure, antique, lourd, ferreux, titan de rouille et de feu serti de cheminées qui vapotent dans l’infernale descente des degrés, la blancheur des paysages. La Sibérie, qui palpite en sourdine dans les interstices d’une désarmante monotonie, cette taïga, rude et hostile et cette larve gourmande qui mange les interminables kilomètres séparant Moscou de Vladivostok. Il faut les prononcer ces noms, pour le voir ce paysage, celui de la Sibérie. “Aimer la Sibérie, ça ne se fait pas !” dirait Olivier Rolin. “La Sibérie qui tourne / Les lourdes nappes de neige qui remontent / Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l’air bleui”, comme dirait Blaise Cendrars. Et toujours cette larve gourmande de train qui mange les interminables kilomètres séparant la Sibérie du reste du monde. Faut-il être fou, entêté d’avenir ou de paysage, le cœur aventureux ou désireux de tout oublier pour monter à bord du transsibérien ? Pourtant, point d’oubli. La Sibérie fait miroir à la nostalgie comme le théâtre fait miroir à l’âme humaine et quand le protagoniste du roman de Mathias Enard monte dans le train, c’est pour se souvenir de l’amour qui fut et de l’amour qui brûle ; celui de Jeanne, pour Jeanne. Comme Blaise se souvient de la petite Jeanne de France – encore une – un hasard ? Sans doute que non !

N’attendez plus, achetez votre ticket, point en gare où les trains n’auront plus jamais cette mesure hostile et infernale avec laquelle nombre d’écrivains ont bataillé, mais au théâtre Jules Julien où un autre train vous attend, départ prévu 20.30 en route pour “L’alcool et la nostalgie”, création scénique.

On en parle dans La Midinale avec Clémence Labatut, metteuse en scène de la compagnie “Ah ! Le destin”, dans le cadre de la sixième édition du festival Supernova au théâtre Sorano.


– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.