Avec Camille Mathon
La petite, c’est la dernière de la fratrie. La petite, c’est celle qui se fait manger sur la photo de classe. La petite, c’est celle qu’on écrase, bouscule, oubli. Celle sur la tête de qui on mange la soupe ; celle qui n’a pas l’âge pour suivre le groupe, pour regarder un film d’horreur ; celle qui doit répondre de son âge et de son sexe, continuer à prendre le moins de place possible, à se satisfaire de sa taille, de sa chambre, de l’espace qu’on lui accorde ; celle pour qui dehors égal danger ; celle pour qui la chambre deviendra par extension le foyer ; celle que la rue avale ; celle qu’on ne voit pas, qui ne se démarque pas. La petite doit répondre de sa nature et de son genre. Pourtant la petite bouillonne. Et même si on lui demande d’arrêter son crisou quand la petite s’énerve, la petite s’en fout, la petite comprend – céder du terrain n’est plus envisageable – si la petite est haute comme trois pommes, ses ambitions, ses désirs, sa colère, sa joie monstre n’ont d’égal que le ciel, ce parvis céruléen qui déroule la mesure de son futur. La petite est prête à mordre la main qui l’a stratégiquement nourrie, à prendre les armes, les mots, ouvrir la voix, apprivoiser son corps, réclamer l’espace, revendiquer la rue, la scène, les watts, les paillettes et les stroboscopes. La petite est immense, nombreuses et nombreux, il ou elle, la petite est multiple.
Créée en 2004 à Toulouse, La Petite est une structure toulousaine qui œuvre pour l’égalité des genres, soutient et visibilise les carrières de femmes cisgenres et personnes transgenres/non-binaires au travers d’événements festifs, médias, formations et accompagnement. Dans La Midinale, j’ai le plaisir d’accueillir Camille Mathon, directrice artistique de La Petite.
Puisque avoir des espaces pour se rencontrer, se retrouver, c’est important, surtout quand ce sont des espaces safe, ou du moins avec un effort pour l’être. Puisque aujourd’hui, dans certains – la plupart – des bars à Toulouse, les gérants sont complices des agresseurs et le staff ne répond pas aux demandes des victimes. Puisque les espaces festifs sont souvent masculins. Qu’ils excluent les personnes assignées femmes, les personnes trans et non-binaires. Que les situations d’oppressions ne sont pas pensées et solutionnées. Comme si fête et politique s’excluaient mutuellement. Finalement, est-ce qu’il n’est pas là le pari de La Petite – politiser la fête en la réfléchissant au croisement des oppressions et des luttes de races et de genre. Merci Camille Mathon d’avoir accepté mon invitation à venir parler dans le studio de Campus FM.
– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.