Avec Katy Barasc
Le 20 avril 2015, une chronique du journal Libération titrait : “Hen [pronom], en suédois, désigne indifféremment un homme ou une femme”. Ni “il” (han en suédois), ni “elle” (hon en suédois), “hen” est un pronom neutre qui désigne une personne sans s’embarrasser de son sexe. Peut-on lire un peu plus loin dans l’accroche du texte, pour parler de l’entrée du pronom “hen” dit neutre dans le dictionnaire de l’académie suédoise. Aujourd’hui, taper le pronom “iel” dans la barre de recherche aux côtés de “libération” et c’est une série d’articles successivement publiés à deux ou trois jours d’écart autour de l’entrée du pronom “iel” dans Le petit Robert avec des titres tous plus racoleurs les uns que les autres : “Highway to iel”, “Iel ne prendra pas !”, “Dans l’iel du cyclone”, etc. Ce qui est sûr, c’est que ce pronom, plus inoffensif qu’on voudrait nous le faire croire, a fait couler bien de l’encre et rarement dans le bon sens – son actualité est devenue virale, sorte de mini catalyseur à la croisée des débats entre l’écriture inclusive, la différenciation sexuelle, les identités queer et non-binaire ou encore le classisme.
Bref, “iel” s’est retrouvé pris dans un faux-débat qui dénonce sans la détruire l’éternelle binarité propre aux cultures occidentales. Rien de mieux pour se prémunir de ce journalisme au ras des pâquerettes que de citer la célèbre écrivaine lesbienne française Monique Wittig qui dans la pensée Straight écrivait déjà : “L’humanité doit se trouver un autre nom pour elle-même et une autre grammaire qui en finirait avec les genres.” Cette phrase de Monique Wittig illustre bien l’injonction à réinventer la langue présente dans l’écriture et la pensée de Katy Barasc, invitée de La Midinale. Philosophe, essayiste et auteure, son dernier essai – “Passions polygraphes” paru aux éditions iXe en février 2021 – et une joyeuse invitation à déranger et dégenrer la langue !
L’émancipation sera polygraphe ou ne sera pas ! Proposer d’autres graphies de soi, écrire la fin du monolecte, neutraliser le neutre, dénoncer l’androlecte et le remplacer par une langue joyeusement androgynolectale, penser contre les dualismes, adopter une langue cyborg – ce sont autant de propositions qui habitent votre écriture Katy Barasc et c’est joyeusement et passionnément révolutionnaire ! Mais surtout nécessaire puisque le monde n’est rien d’autre que ce que nous en disons. À nous donc de modifier le dire pour modifier le monde. Merci Katy Barasc d’avoir accepté mon invitation.
– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.
Plus d’infos :
www.editions-ixe.fr/catalogue/passions-polygraphes/