Avec Stéphane Boitel
Fut un temps où il valait mieux ne pas refuser d’ouvrir sa porte à un inconnu. Celui qui pouvait avoir l’apparence d’un mendiant, d’un badaud, d’un ivrogne, mais surtout celui qui avait la tête du jamais-vu, de l’étranger, l’autre qui n’est pas moi, pouvait cacher en son sein un dieu. Et oui, à cette époque, dans la Grèce antique, les dieux sévissent quotidiennement, fermement appareillé à l’Olympe et bien décidé à se jouer des hommes, pas toujours de façon vertueuse. Or, Jupiter, le dieu des dieux, est très attaché à la notion d’hospitalité – un concept traduisible par Xenia et qui implique d’être traité rituellement dans la société. C’est dire que l’on n’ouvre pas non plus sa porte à n’importe qui par pure bonté d’âme, charité ou philanthropisme, mais plutôt de crainte que l’autre ne soit en fait un Jupiter masqué venu nous faire passer un test d’hospitalité. Le mot Xenia donnera Xenophilia : l’amour de l’inconnu et bien sûr Xénophobie : la peur de l’inconnu. Aujourd’hui, en français, pour rester dans le champ lexical de l’hospitalité, subsiste dans la langue une ambiguïté toute significative à l’endroit du mot hôte : l’hôte, c’est est à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. Peut-on dire qu’offrir l’hospitalité, c’est aussi s’inviter soi-même. Oui, nous allons parler d’hospitalité ce midi sur Campus FM puisqu’elle est le thème, l’axe, la problématique, le nœud du festival In Extremis 2022 qui démarre mardi prochain, le 17 mai et jusqu’au 11 juin. Et pour ce faire, j’ai le plaisir de recevoir Stéphane Boitel, à la programmation artistique et la communication du théâtre Garonne.
J’ai été interpellé en effectuant mes recherches par la façon dont était qualifiée ou se qualifiait l’artiste Gabriela Carneiro de Cunha, comme interprète chamane. Charles Stépanoff qui a produit un ouvrage important et décisif sur le chamanisme, intitulé Voyager dans l’invisible, digresse à plusieurs reprises sur le rôle social du chaman en tant que vecteur dans une relation tripartite qui relierait les esprits aux humains. Il écrit que « grâce à sa porosité, le corps chamanique laisse pénétrer en lui des esprits auxiliaires » : forme d’hospitalité accrue où le corps se fait hôte et réceptacle. Dans un ouvrage d’un autre type intitulé Cruiser l’Utopie, le chercheur José Esteban Munoz parle de la scène, et notamment du dance floor, comme le lieu “d’expériences kinesthésiques par le biais desquelles nous devenons en un sens, moins comme nous même et plus semblables les uns aux autres”. Il dit encore du danseur/performeur : “Ces gestes sont des modèles pour tous les sentiments que la foule n’est pas autorisée à ressentir”. Peut-être finalement, que le cœur de l’hospitalité se manifeste dans cette posture, que l’on soit dans une tente sombre en Sibérie lors d’un rituel chamanique ou dans une salle de théâtre de la ville rose – une personne sur scène, accueille un sentiment collectif, le ritualise, le digère. Merci Stéphane Boitel pour votre présence dans le studio.
– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.
Plus d’infos :
www.theatregaronne.com/evenements/2021-2022/in-extremis-hospitalites-2