avec Murièle Modély
En direct et en public, Campus FM investit le pôle actualité de la médiathèque José-Cabanis pour un troisième et dernier épisode hors-les-murs.
Bien que nous ayons quitté la saison astrale des poissons, pour le dernier épisode de La Midinale de la saison, je vous invite cher auditeurices, cher spectateurices, à plonger rêveusement avec moi dans l’eau. L’eau et les rêves, thématique de l’exposition de livres pauvres accueillie par La Bibliothèque d’études et du Patrimoine et La Médiathèque du Grand M jusqu’au 25 juin est avant tout le titre d’un essai sur l’imagination de la matière, publié en 1942 ; forme de méditation littéraire au rythme de l’eau par le philosophe français Gaston Bachelard. Il y affirme que “La liquidité est (…) le désir même du langage”, voire “un principe du langage”. La parole de l’eau, chapitre conclusif de son essai, ouvre grand la poétique du ruisseau, célèbre la parole fleuve et libératrice, la rhétorique torrentielle. Bachelard le clôt d’ailleurs sur ces mots : “Venez, ô mes amis, dans le clair matin, chanter les voyelles du ruisseau ! Où est notre première souffrance ? C’est que nous avons hésité à dire… Elle est née dans les heures où nous avons entassé en nous des choses tues. Le ruisseau vous apprendra à parler quand même, malgré les peines et les souvenirs, il vous apprendra l’euphorie par l’euphuisme, l’énergie par le poème. Il vous redira, à chaque instant, quelque beau mot tout rond qui roule sur des pierres.” Quelle plus belle invitation que de briser les barrages par le langage ? Et n’est-ce pas là, la première intention des livres pauvres, ces objets fleuves qui dynamitent les conventions éditoriales et s’expriment en eux même et pour eux-mêmes !
Pour parler de cette exposition rêveuse et liquide, j’ai le plaisir de recevoir Murièle Modely qui, un pied sur chaque berge, est à la fois bibliothécaire et poétesse, à la fois coordinatrice de l’exposition Livre pauvre : art et poésie mêlés » et participante. Nous y reviendrons bien sûr, mais avant toute chose, focus sur le livre pauvre, un objet pauvre mais riche !
Dès 1946 René Char fut notamment l’amant d’Yvonne Zervos, animatrice de la galerie d’exposition des Cahiers d’art – c’est elle qui organisa en 1980 à la Bibliothèque nationale de France, l’exposition consacrée aux manuscrits de René Char enluminés par les peintres du vingtième siècle – c’est également à elle que René Char dédia et dédicaça deux poèmes parut dans Le Nu Perdu : Yvonne, la soif hospitalière et La Sorgue, chanson pour Yvonne. Comment ne pas être tenté de boucler la boucle de cette émission en relevant les occurrences à l’eau, à la Sorgue d’une part, rivière du Vaucluse et à la soif d’autre part. Char écrira dans ce dernier, en parlant d’Yvonne, « nulle autre qu’elle n’aurait pu boire sans mourir les quarante fatigues ». La soif vertu hospitalière, abreuve le poète et finalement autorise le poème, son écoulement de quelques vers, « hisse l’eau gisante ». Comment ne pas boucler la boucle en continuant de célébrer la poésie et son dialogue polyphonique avec toutes les formes plastiques que les livres pauvres lui permettent de rencontrer. Un format qui, depuis les manuscrits enluminés de René Char qui inspirèrent à Daniel Leuwers sa création, n’a eu de cesse de se réinventer. Merci Murièle Modely d’avoir accepté mon invitation. J’ai eu grand plaisir de clore cette saison radiophonique à vos côtés – c’était bien, aujourd’hui, la 80e et dernière Midinale de la saison 2021/2022. Que vive la radio !
– Alice Baylac
dans La Midinale, saison 2021-2022.