Rencontre avec La Rumeur
Trois maxis, quatre albums, des mix-tapes et maintenant trois compilations d’inédits, La Rumeur fait preuve d’une longévité et d’une cohésion inédite dans l’histoire du rap français. Après des années de procès avec le ministère de l’intérieur et une victoire qui n’était pas gagnée d’avance, le groupe continue aujourd’hui de diffuser sa contre-information et ses chroniques sombres sur disque, mais pas seulement. La Rumeur est aussi là où on ne l’attend pas mais toujours fidèle à elle même.
Le dernier album « Tout brûle déjà » (2012) marque une transition dans la discographie de La Rumeur.
Philippe aka Le Bavar : C’est le premier album qu’on a fait sans être sous les feux de notre affaire judiciaire qui nous opposaient à Sarkozy, donc effectivement on a pu se concentrer sur des thématiques qui nous étaient propres, et en adéquation aussi avec nos évolutions, nos parcours qui ont changé en quelques années. C’est peut-être un album un peu charnière. «Tout brûle déjà», c’était aussi un triste constat, on avait déjà tiré l’alarme plusieurs fois sur nos disques, quand on faisait des morceaux comme «Qui ça étonne encore?».
Hamé : En quoi tu trouves cet album à part dans notre discographie ?
Il y a un titre sur lequel tu parles de tes enfants, ou dans « Un Soir Comme Un Autre », on touche à quelque chose d’intime, d’immédiat.
Hamé : C’est une sorte de constat, d’état des lieux avec des textes où le jeu est d’avantage assumé. Notre identité sociale, historique s’efface un peu au profit d’un examen de contradictions, du constat qu’on a vieillit aussi, la plupart d’entre nous ont des enfants, on est tous quasi quadras, on est plus des jeunes de quartiers, on est producteurs de nos propres œuvres, et de fait entrepreneurs.
On a une réflexion sur comment dégager des marges en terme économique pour garantir notre indépendance. La Rumeur c’est pas simplement une expérience artistique qui ici et là s’illustre sur scène, c’est aussi une réflexion sur la viabilité d’un projet d’indépendance, de souveraineté artistique dans divers domaines.
Depuis une dizaine d’année on a intégré le fait qu’il fallait être d’avantage présent là où on nous attendait pas, et être en mesure de nous réapproprié des langages divers et de multiplier les supports, en créant du média, en étant capable d’apporter des projets et des traductions de La Rumeur, en terme de média, d’images, de films, en terme d’édition. On a lancé une maison d’édition spécialisé dans le hip-hop à son meilleur. C’est juste une maturation assez logique. On n’a plus 25 ans, on n’a plus les mêmes automatismes.
Le Bavar : Il y a aussi une volonté de pas refaire les mêmes disques mais ça se fait tout naturellement, par rapport à l’évolution de nos parcours, de nos vies, on reproduit pas les mêmes morceaux, on n’écrit plus de la même façon.
Hamé : En même temps, c’est typiquement La Rumeur, on se réinvente pas de A à Z, c’est juste qu’on a rajouté une ou deux facettes en plus à ce que l’on avait l’habitude de proposer, c’est des choses qu’on creuse dans Les Inédits 2 où la part belle est faites à la fiction, à une capacité narrative de plonger l’auditeur dans un univers, de faire passer des visages, des paysages, sans forcément une finalité contestataire ou politique. C’est une immersion dans un univers.
Ekoué : On essaye de se mettre plus en difficulté sur les albums en terme de productions, et d’essayer des choses plus ambitieuses. Les Inédits, c’est presque des morceaux que tu peux retrouver dans « L’Ombre sur La Mesure » et c’est tant mieux. C’est plus dans cette continuité là. « Tout brûle déjà » c’est un album dont on est particulièrement fière, et qui en terme de chiffre de ventes a reçu un excellent accueil.
Vous êtes réceptifs aux évolutions des productions rap ? Ça a une influence sur votre musique ?
Ekoué : On aime bien ce que on écoute, après c’est La Rumeur.
Le Bavar : Ça reste La Rumeur, et malgré le fait qu’on ait pu avoir des productions jazzy, des productions électro, on peut aussi adapter les textes de La Rumeur, se réapproprier des musiques un peu plus actuelles et tirer la couverture vers nous, et faire en sorte que ça reste l’univers de La Rumeur.
Hamé : Quand on se plonge dans un album, la question qu’on pose en préliminaire, en terme sonore, en terme d’atmosphère, c’est : on en est où ? Les Inédits, les mix-tapes, les projets intermédiaires entre deux albums, c’est des bouts de boucles qu’on dépoussière, c’est des expérimentations de techniques d’écritures un peu différentes.
Dans Les Inédits 2, il y a une part très large qui est faites à la narration, à la fiction, à un style hyper visuel qui se rapproche un peu plus de ce qu’on a fait dans « Du cœur à L’outrage » ou dans « L’ombre sur la mesure », même au niveau de la façon de tourner les samples, d’avoir à nouveau recourt à des banques de samples tiré de films noirs, de polars, ça c’est des choses qu’on affectionne toujours et dans lesquels on va encore puiser.
Sur les quinzaines d’années qui nous séparent du premier volet de la trilogie jusqu’au disque qu’on va sortir (ndlr : Les Inédits 3, désormais dans les bacs) il y a une évolution, ça a bougé sur certains points mais il y quand même des tendances lourdes, il y a quand même un parti pris musicale, au même titre qu’on a des partis pris en terme d’écriture, de fond, en terme de valeurs, et de ce qu’on défend.
J’y vois une cohérence mais conserver sa cohérence, ça ne veut pas dire se ranger une bonne fois pour toute à une façon de faire du rap, ne pas s’autoriser des remises en question, des évolutions.
Je voulais qu’on parle du téléfilm « De l’encre ».
Hamé : Au départ ça s’appelait « La nouvelle trilogie », ça devait être trois épisodes d’une demi-heure. Finalement la chaîne a préféré, vu la cohérence de l’ensemble (ça fonctionnait comme un film) le diffuser en unitaire, c’était parti pour huit diffusions, il y a finalement eu une quarantaine de diffusions sur l’ensemble des chaines Canal, et le film a eu aussi une carrière en festival cinéma avec des prix, a était nominé aux trophées du film français, on a eu des prix au festival Tous écrans (ndlr : festival Suisse) : meilleur fiction, prix du publique.
C’était carton plein pour un premier film qui nous a assurait une entrée en matière dans l’univers du cinéma. Derrière ça, il y a eu un court métrage qu’on a produit, et que j’ai réalisé, qui a était sélectionné en compétition officielle à Cannes.
Avec un acteur qui est également dans « De L’encre »
Hamé :Voilà, Reda Kateb. Là on est sur le point de produire notre premier long-métrage au cinéma avec Reda Kateb aussi. Je peux pas trop en parler mais ça s’annonce bien. On a quasiment fini de trouver tous les financements, et si tout se passe bien, c’est un film qu’on tournerait avant l’été.
Est-ce que tu peux parler du livre que vous avez édité sur « Illmatic » l’album de Nas ?
Hamé : Au départ, c’est un collectif de hip-hop scholars américains, une génération de chercheurs qui a grandit avec le hip-hop, qui écrivent de l’intérieur sur un objet qu’ils ont vécu avant d’êtres chercheurs, c’est ce que l’on peut produire de mieux en la matière. Ce livre inaugure La Rumeur éditions, à partir du 15 janvier tous les titres que l’on va proposer pour 2015 seront disponibles chez les libraires.
Le livre sur Illmatic, c’est le 15 janvier. Il y ensuite un livre de photos qui s’appelle « Que dit l’autopsie ? », c’est une interprétation photographique de l’univers lyricale de La Rumeur. Le troisième titre ça sera un bouquin satirique avec un dessinateur qui est de Toulouse d’ailleurs, qui contribue à larumeurmag.com et qui s’appelle Snif, ça sera une rencontre entre sa plume et la notre, une espèce de dialogue entre ses dessins et nos lyrics.
Deux titres en fin d’année 2015, un premier sur l’histoire de l’équipe national de foot de France des années 30 à nos jours. Ça sera un livre assez polémique je pense, l’anti-Zemmour et l’anti-Finkielkraut par rapport au foot.
L’année 2015 est chargée, il y a ce film, il y a les éditions, il y a un disque, il y a spectacle particulier au Théâtre du Rond Point où pour la première fois on va écrire un spectacle pour une salle assise, c’est pas une pièce de théâtre mais 20 ans d’histoire musicale de La Rumeur traduit scéniquement, ça va finir comme un show de La Rumeur classique mais ça va commencer par une mise en scène un petit peu spéciale, partir de l’intime pour finir au général.